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La musique de Rameau m’a accompagné depuis bien des années. Elle a été une nourriture, un modèle, un puissant stimulant, parfois même un secours. Elle m’est familière bien qu’elle me reste mystérieuse et me semble encore inexplorée, comme toutes les œuvres riches et profondes. C’est donc à partir de cette familiarité réelle mais frangée d’étonnement et d’inquiétude que je me trouvais lorsqu’on m’a fait la proposition intimidante d’une commande dans le cadre de l’année Rameau.

Il peut sembler deux fois présomptueux d’écrire un 'Tombeau de Rameau' (écho à celui que Ravel a édifié pour Couperin), mais j’ai voulu évoquer, par ces six pièces pour clavecin, des climats, des caractères, des formes et par dessous tout cette énergie ramiste qui nous traverse, si vive, neuve, toujours nous poussant en avant, et que j’ai fini par assimiler à ma propre manière.

Chacune de ces pièces renvoie à une forme ancienne bien qu’on n’y trouve ni emprunt ni citation. 'L’Examinante' est comme un prélude non mesuré et fait allusion à la veine méditative, mélancolique de Rameau. 'Les Hypocrites ou le Morse des envieux' parle de son humour mordant, de cette humeur satirique, cet esprit railleur qui était celui des arts de la foire, de la Société du Caveau. 'L’Emmitouflée' est un air orné sur cinq notes qui se réfère à ce mélange de grâce et d’extrême simplicité que Rameau a si souvent su mettre en œuvre. 'La Courneuve ou le Secours victorieux' est une sorte de danse de dominos glissée, la transposition sur un mode ironique d’un phénomène atmosphérique. 'L’Inexorable' est un tambourin funèbre, musique qui se souvient là de cet art de la stupeur ramiste et non moins de sa force hypnotique. 'La Fracassante' enfin termine le recueil en une toccata furieuse. Ces six pièces, faisant alterner mouvements lents et vifs, tournent autour d’une idée fixe, de juxtapositions brutales qui s’organisent comme ces mécaniques qu’on trouve si souvent au cœur de la machinerie baroque. Ce caractère têtu veut évoquer ici la volonté inflexible de Rameau qui, avec l’entêtement du génie, a conduit jusqu’au bout de ses conséquences ce total renouvellement de l’écoute qui avait littéralement sidéré (et divisé) ses contemporains.

'L’objet de tant d’amour, la beauté qui m’engage', chante Dardanus dans un des plus beaux airs de tous les temps : voilà qu’elle a été ma haute loi pour cet hommage à Rameau.
[Gérard Pesson]

• Commande du Musée du Louvre et du Centre de musique baroque de Versailles
• Création à Paris, Auditorium du Louvre, le 17 octobre 2014 par Blandine Rannou

1958 – *

La musique de Gérard Pesson est une radiographie des gestes et des rythmes musicaux, qu’il scrute avec une puissance évocatrice au raffinement fascinant. En elle, la quête du merveilleux provoque le surgissement, qui frappe telle une mémoire involontaire sonore.
– Ramón Lazkano

Retrouvez chez Maison ONA l’intégralité de ses œuvres composées depuis 2014 et à venir.